Dans le premier évangile, dix lépreux s’approchent, tout en restant à distance, du Seigneur en espérant être délivrés de leur terrible maladie. Car en effet la lèpre n’est pas une maladie comme une autre. Dans toute maladie, le malade se voit pris en compassion par tous, tous veulent l’aider et le secourir et personne n’hésite à l’approcher, à le toucher et à lui apporter les soins nécessaires.
Mais le lépreux lui est rejeté par tous, surtout à l’époque de l’Evangile, à l’époque du Christ les Juifs considéraient que la lèpre était une malédiction divine et ainsi il était facile de se dire que puisque Dieu maudit tel ou tel homme en lui envoyant une lèpre, ce n’est pas aux hommes de les aider. D’ailleurs, dans le lévitique il y a tout un chapitre sur les conditions des lépreux et comment ils doivent s’isoler du reste du peuple, comment ils n’ont même plus le droit de participer aux rituels du culte. Ils peuvent et doivent seulement aller voir les prêtres pour que ceux-ci prient sur eux et demandent à Dieu d’enlever sa malédiction de ces hommes.
Dans l’évangile que nous avons lu, les lépreux se dirigent vers le Christ, parce qu’ils ont surement vu et entendu les miracles qu’il faisait, les malades qu’il guérissait. Et le Seigneur va évidemment les prendre en compassion. Il va les guérir tout en leur enjoignant de se rendre chez les prêtres, et c’est en chemin qu’ils seront purifiés, nous dit l’évangile. Pourquoi le Seigneur ne les guérit pas tout simplement sans les envoyer voir les prêtres ? Peut-être pour éviter que les juifs, dans leur ignorance, ne l’accusent de ne pas respecter la Loi et ses protocoles. Surement aussi pour donner à ses disciples et à ses futurs fidèles, les chrétiens, un ordre et un conseil. Oui car dans l’Eglise le Seigneur agit, guérit, soigne, purifie, à travers les sacrements que l’Evêque dispense, lui-même et à travers les prêtres. Et ainsi lorsque nous souffrons, lorsque nos passions, nos péchés, nos lèpres spirituelles nous éloignent de Dieu, de son Corps qu’est l’Eglise et ainsi de nos frères membres, eh bien c’est vers le Christ que nous devons nous tourner à travers les prêtres qui nous donnent le Christ dans les mystères de l’Eglise, la confession, la Communion, les onctions d’huile, les prières spéciales.Lire la suite...
Mais pour que nous comprenions que l’ancienne alliance est dépassée et que l’ancien sacerdoce n’a plus aucune valeur, et aussi pour nous montrer que dans tous les cas c’est le Christ lui-même qui nous guérit, les lépreux de l’Evangile sont purifiés avant même d’être arrivés auprès des prêtres. Oui, nous ne devons pas appréhender, comprendre les sacrements comme de la magie. Ils sont la manifestation de Dieu dans notre vie, ils sont le signe que Dieu nous vient en aide et nous donne sa grâce, mais tout cela doit se faire avec notre liberté, notre volonté tournée vers Dieu. C’est donc l’ascèse, qui nous prépare à recevoir les dons divins, c’est l’ascèse qui nous prépare à recevoir la thérapeutique de l’Eglise. Lorsque l’on souffre d’un mal, les médecins nous donnent des médicaments et aussi nous conseillent parfois un régime alimentaire, une hygiène de vie pour que ces médicaments puissent avoir un effet bénéfique.
Oui l’Eglise orthodoxe est une thérapeutique, car l’Homme est avant tout malade. Nos passions sont des maladies spirituelles, et tout dans l’Eglise est thérapie de l’âme et du corps aussi. C’est pour cela que l’Eglise orthodoxe considère la chute, le péché, les passions, l’éloignement de Dieu d’une manière radicalement différente des confessions chrétiennes occidentales depuis leur séparation de l’Eglise. Et ainsi il est évident et logique que la conception de l’ascèse, du repentir, de l’effort personnel, de la volonté et de la grâce soit conçue si différemment dans l’Eglise orthodoxe et dans le christianisme occidental.
Si l’Orthodoxie est une thérapie, si l’Eglise est un hôpital, et les monastères les soins intensifs, c’est que le Christ est le médecin. Nous devons donc aller à lui comme à un médecin. Présentons-nous devant lui comme des malades qui ont besoin de guérir, considérons la confession, et les autres sacrements comme des thérapies que nous offre le Seigneur. Considérons nos offices comme notre rééducation, notre ascèse, le jeûne, la veille, comme des médicaments d’abord amers puis ensuite tellement doux. Considérons que notre renoncement quotidien soigne notre égoïsme et notre philautie (amour égoïste de soi), terrible maladie, de laquelle découle toute les autres.
A l’heure où la médecine et la science se battent pour trouver des traitements toujours plus efficaces contre nos maladies physiques, rappelons-nous que nous sommes d’abord malades spirituellement et que l’Eglise, elle, possède déjà les moyens de nous guérir. Cette guérison, cet état de santé spirituelle retrouvé s’incarne dans les saints de l’Eglise. Eux, de malades qu’ils étaient, ont retrouvé la santé. Et saint Antoine que nous fêtons aujourd’hui en est l’exemple parfait. Il est celui que nous considérons comme le premier moine, bien qu’évidemment d’autres chrétiens avaient déjà décidé de tout quitter pour se retirer dans les déserts et les montagnes, comme la vie de saint Antoine en témoigne par sa rencontre avec saint Paul de Thèbes.
Mais en tout cas il est juste de dire que la vie de saint Antoine a eu une influence pionnière sur le monachisme en orient et jusqu’en occident grâce à saint Athanase qui a écrit sa vie et l’a transmise dans nos contrées. Saint Antoine est le type, le modèle des moines. Et il a justement traversé tous les états de l’homme, de la chute de l’homme ancien jusqu’à celui d’homme nouveau dans le Christ et il nous montre par sa vie et son exemple la voie à suivre, à sa suite. Nous avons chanté d’ailleurs «Tous les moines, nous t’honorons comme notre guide spirituel…» Puisqu’il est notre guide spirituel, comme le sont tous les saints, nous devons suivre son enseignement et l’exemple de sa vie. Et ici il y a quelque chose d’essentiel. La vie chrétienne et la vie monastique au fond ne sont pas une idée, même pas un enseignement, pas non plus une doctrine, une règle ou une conduite, c’est d’abord et avant tout suivre un exemple, suivre la Tradition qui doit s’incarner dans une personne. Lorsque saint Paul le Simple trouva saint Antoine, saint Antoine ne lui donna aucune règle si ce n’est de faire ce que lui-même faisait. Et c’est pour cela que le monachisme orthodoxe connait une grande diversité car les moines n’obéissent pas tant à une règle qu’à leur Ancien, à celui qui a fondé le monastère, à son esprit, et à celui de leur higoumène. Et l’higoumène lui-même suit l’exemple d’un Ancien qui lui-même reçoit quelque chose de son Ancien et alors la Tradition est vécue, transmise. La seule condition qu’impose cette obéissance, c’est la fidélité à la foi et à la Tradition de l’Eglise.
Le monachisme, la vie spirituelle ne s’apprend pas dans des livres. Elle est d’abord le fruit d’une parole, concrète, incarnée. Les livres spirituels sont essentiels pour acquérir un esprit spirituel, un esprit ascétique. Mais rien ne vaut la parole concrète. Je me souviens d’une expérience que j’ai faite au Mont Athos. J’avais lu la vie et l’enseignement de Papa Ephrem de Katounakia, maintenant canonisé. J’avais une idée sur lui, je le voyais comme ceci ou comme cela. Et alors au Mont Athos des moines qui l’avaient connu, qui l’avaient côtoyé, qui avaient vécu à ses côtés, m’ont parlé de lui, et l’idée que je m’étais faite, s’est vu changée, éclairée par quelque chose de vrai, de concret, comme si je pouvais vraiment toucher la personne en question. C’est toute la différence entre voir quelqu’un en photo et le voir ensuite en vrai. Et le sens de la Tradition de l’Eglise est celui-ci, la transmission de l’expérience de Dieu, différente pour chacun mais concrète et réelle.
L’Orthodoxie c’est cela, pas autre chose. Et pour nous autres occidentaux, orthodoxes de la diaspora il est essentiel de comprendre cela, car sinon notre Orthodoxie risquerait d’être livresque superficielle donc. L’Orthodoxie est d’abord un mode de vie, un éthos. Et ce mode de vie ne s’acquiert que par la pratique, en voyant concrètement d’autres le vivre, simplement, naturellement. Par exemple, les orthodoxes se moquent souvent des nouveaux convertis, car leur attitude dans l’église dénote leur manque de simplicité. Ils ont lu qu’il fallait vénérer les icônes comme ceci et comme cela et alors ils se tiennent droit comme des piquets et vénèrent les icônes comme des robots. A ce sujet, un ami de notre monastère maintenant décédé se moquait de lui-même lorsqu’il racontait que lors d’un pèlerinage au Mont Athos un higoumène s’était amusé de lui en le voyant vénérer les icônes d’une manière tellement parfaite et orthodoxe que cela démontrait un manque de naturel et l’higoumène avait fait remarquer : « Ah en voilà un plus orthodoxe que les orthodoxes. »
Tout cela pour bien comprendre le sens profond de notre vie dans l’Eglise, que nous soyons moines ou simple fidèle. Nous devons aussi redire l’importance des monastères pour tout chrétien orthodoxe. Car dans les monastères, les moines vivent tout cela naturellement, les fêtes de l’Eglise, les jeûnes, les manière de cuisinier de si bonnes choses en plein carême tout en respectant les règles. Les fidèles doivent aimer les monastères, y venir, s’imprégner de l’ambiance, de la manière de vivre, du Typicon. D’où l’importance aussi d’aller dans des pays orthodoxes, d’aller sur la Sainte Montagne, la où l’Orthodoxie n’est pas une idée mais une vie dans le Christ !
A notre Dieu soit la gloire, Père Fils et Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen !